Lorsque Josse Bade imprime Térence en 1504, dans une impression partagée avec d’autres, mais où il est le seul d’entre eux à imprimer également ses propres commentaires au texte latin, il se donne, en tant que savant, un extraordinaire moyen de diffuser ses textes et de participer au renouveau des études ; il entreprend ainsi la construction d’une image de docte moderne, offrant à qui lui agrée une place dans le praelum ascensianum où se construit le savoir, comme le disent sa marque puis les cadres qui l’entourent sur les pages de titre à partir de 1507 et 1511. En 1569, Henri Estienne, son petit-fils, grand érudit, maîtrisant lui-même latin et grec sans doute de manière plus accomplie que son grand-père, récrimine dans son Artis typographiae querimonia et son Epistola de suae typographiae statu, contre les typographes ignorants qui maltraitent les textes antiques, se moquent des imprimeurs sérieux, et créent donc une défiance légitime des hommes savants envers sa profession. Quel chemin, en cinquante ans, a mené les learned printers de la fierté de leur double compétence à la déploration de leur statut ? A travers les paratextes de quelques-uns d’entre eux, Alde Manuce, Josse Bade, Robert et Henri Estienne, Adrien Turnèbe, Fédércic Morel, Jean de Bienné, nous verrons comment ces hommes formés, savants, brillants, se sont retrouvés enfermés au cours du siècle dans un statut mécanique qui les a privés de la reconnaissance sociale et intellectuelle que beaucoup méritaient tout autant que les doctes reconnus par leur formation académique. Ce statut intellectuellement minoré semble cependant leur avoir donné peu à peu sur les savants un pouvoir de pression économique qui ne pouvait que tendre les relations des deux parties, et pérenniser pour des siècles la dichotomie otium / negotium dans le monde du livre.